Le secteur immobilier est-il prêt à rentrer dans le mouvement des low tech ?

Retour sur la conférence Immobilier et Prospectives du 20 février 2019

Dans le cadre du cycle Immobilier & Prospectives, l’OID et le Plan Bâtiment Durable ont abordé la traduction du mouvement « low tech » pour le secteur immobilier. Philippe BIHOUIX, Auteur de L’âge des low tech : vers une civilisation technologiquement soutenable, a apporté son témoignage, suivi d’une table-ronde réunissant Maxime LANQUETUIT, Directeur de l’innovation groupe – Altarea Cogedim, Etienne DELPRAT, Doctorant Chercheur – Laboratoire Art & Science, Architecte – Collectif YA+K et Jérôme GATIER, Directeur – Plan Bâtiment Durable. La conférence a été introduite par Éric Allard, Directeur Général – La Française REM et a été animée par Gérard Degli-Esposti, Président – OID ainsi que Loïs Moulas, Directeur – OID.

 

Forte demande énergétique et épuisement des ressources : un constat sans appel

La réflexion autour des low tech se nourrit de l’état des lieux suivant :

Les ressources naturelles, et notamment minières, s’épuisent. Il faut ici comprendre l’épuisement d’une réserve minière selon trois caractéristiques : d’une part la planète a, au fil des années, été significativement prospectée et les lieux exploitables sont désormais relativement bien connus. Ensuite, les mines les plus intéressantes ayant été exploitées, les mines ouvertes actuellement démontrent des taux de concentration en ressources beaucoup plus faibles, exigeant ainsi des investissements technologiques et des besoins énergétiques toujours plus importants pour les extraire (le gaz de schiste est à ce titre un exemple parlant). Enfin, le prix d’une ressource est un indicateur fort, plus le prix augmente, plus les ressources augmentent artificiellement, car plus de moyens peuvent être mobilisés pour les atteindre. L’épuisement d’une ressource est défini par ces trois facteurs.

En parallèle, les matériaux ou objets produits et utilisés aujourd’hui démontrent très peu de « circularité ». En effet, ces ressources ont des usages dits « dispersifs », c’est le cas du plastique bien entendu, qui n’est recyclable qu’un certain nombre de fois, mais également des métaux, qui ne démontrent pourtant pas de perte de performance suite à leur recyclage. En d’autres termes, les objets, notamment dits « high tech » comme les smartphones, sont faits de nombreux composants qu’il est impossible de séparer lors de leur fin de vie. Les objets les plus communs, tels qu’une cuillère par exemple, peuvent être constitués de plus de 3 000 sortes d’alliages, ils ne seront pourtant recyclés qu’à travers quelques filières, ne permettant pas la récupération des autres composants. De plus, une grande partie des ressources ne sont pas récupérables en tant que telles au vu de nos usages. Le titane, à 5% utilisé sous forme métallique, verra ses autres 95% sous forme chimique (peinture, maquillage, crème, etc.) impropres à la récupération.

« Plus on est high tech, moins on laisse de place à l’économie circulaire »

Dans un contexte où l’énergie serait infinie et très peu couteuse, la question des ressources ne s’aborderait pas de la même manière. Or aujourd’hui, bien que le développement des énergies renouvelables laisse à penser l’existence d’une offre infinie, les technologies nécessaires au captage, stockage, transformation des flux naturels en énergie nécessitent elles-mêmes des matériaux, ressources et énergies (les panneaux photovoltaïques nécessitent par exemple des métaux rares). La question des ressources doit donc être au cœur des préoccupations, et s’imposer dans un débat aujourd’hui essentiellement monocritère axé sur les émissions de gaz à effet de serre.

 

Du constat aux concepts d’action clés

Le développement de solutions techniques « simples », dit « low tech », représente une opportunité pour faire face à la consommation énergétique accrue des usages numériques, mais également à la fragilité d’équipements complexes face aux événements climatiques extrêmes.

Recyclage, modularité, réparabilité, simplicité et sobriété sont les maîtres-mots des low tech. Cette simplicité rend possible l’implication et l’autonomie des individus, et permet également le développement de communautés d’intérêt et de savoirs. Les principes de l’innovation frugale, de la résilience et de l’économie circulaire s’y retrouvent.

 

Le secteur immobilier doit se poser les bonnes questions

Grand consommateur de ressources à travers l’utilisation de matériaux et les besoins en énergie, le secteur immobilier est et doit être en première ligne de ces problématiques. Aussi, pour favoriser le mouvement low tech, il est nécessaire de se poser trois questions :

  • Pourquoi produit-on ?

Le bâtiment ayant le moins d’impact est celui que l’on ne construit pas. La question de la sobriété doit être au centre, et ici, la sémantique tient une place toute particulière :

« La sobriété n’est pas synonyme d’efficacité »

Renforcer l’efficacité énergétique d’un bâtiment implique souvent d’utiliser de nombreux matériaux, notamment pour l’isolation, ce qui a un impact important. La sobriété elle, se traduit dans le secteur par la priorisation de la réhabilitation et de la mutualisation des bâtiments existants sur les opérations de constructions neuves, qui, en plus de ponctionner des ressources, augmentent l’artificialisation des sols. Mutualiser les espaces semble une nécessité lorsque l’on observe les taux d’occupation. Maxime LANQUETUIT rappelle à ce titre que :

« Si l’on compte les horaires de travail, les week ends et les vacances, un immeuble de bureau n’est en moyenne occupé que 30% du temps ».

Un investissement aussi coûteux financièrement et en ressources devrait voir son taux d’occupation augmenter. Les écoles doivent également être au cœur de la réflexion. L’habitat partagé est représentatif de ce type de démarche.

En parallèle, il faut penser la sobriété à l’usage, et le pull s’impose de lui-même, car :

« Isoler un corps a toujours été plus efficace qu’isoler un bâtiment »

  • Que produit-on ?

Ici plusieurs problématiques peuvent apparaitre : Comment accroître la durabilité d’un bâtiment ? Il s’agit de penser l’obsolescence des lieux, mais également leur modularité. Comment limiter le caractère « dispersif » d’un bâtiment ? Les matériaux choisis sont essentiels, mais il s’agit également de questionner le démantèlement de ces derniers, qui peut être plus problématique pour les matériaux biosourcés par exemple. Comment réduire l’empreinte carbone en fin de vie ? Cette question reste aujourd’hui essentiellement abordée du point de vue des analyses en cycle de vie des matériaux dans les exercices de comptabilité carbone, et invite à approfondir la réflexion sur les notions de réutilisation, réemploi, recyclage, économie circulaire, stockage, valorisation des matériaux, etc. Ces sujets doivent être abordés dès la conception d’un bâtiment et en cohérence avec le contexte local (quartier, initiatives proches, échanges locaux, etc.).

  • Comment le produit-on ?

Cette question vient interroger des logiques sous-jacentes souvent peu pensées. Aujourd’hui, le secteur immobilier français est totalement dépendant d’autres pays dans un contexte géopolitique fluctuant. Les terres rares extraites en Afrique, les panneaux photovoltaïques assemblés en Asie, les ressources d’Amérique (cuivre, etc.) sont autant de biens et services dont le secteur immobilier, alors entièrement dépendant du climat géopolitique, ne peut se passer.

La question de la résilience doit également être largement abordée pour assurer la durabilité des constructions face aux aléas climatiques de plus un plus prégnants.

Cela amène également le débat sur des interrogations au fondement de la pensée économique. La productivité a été pensée ces dernières décennies comme produire plus ou mieux avec moins de travail humain (en termes de temps de travail). Or, diminuer le travail humain s’est concrétisé en un remplacement partiel des hommes par des machines. En ayant à l’esprit la question des ressources, cela signifie que le système a peu à peu remplacé du travail humain durable et disponible (les chiffres du chômage parlent d’eux même) par des machines non durables car obsolètes et consommatrices de ressources, elles-mêmes limitées. L’emploi local impulsé par une opération de construction ou de réhabilitation doit être une métrique au cœur d’un bilan immobilier.

 

Une problématique purement technique ?

Différents exemples d’initiatives en termes d’efficacité ont démontré leurs limites du fait des effets rebonds. Ceux-ci sont définis par la logique suivante : les économies d’énergie ou de ressources initialement prévues par l’utilisation d’une nouvelle technologie sont partiellement ou complètement compensées à la suite d’une adaptation du comportement de la société. Si les data centers ont gagné en efficacité (baisse des besoins en climatisation, traitement plus rapide des données, amélioration du stockage), la quantité de données n’a cessé d’augmenter. De même, l’effet Blablacar n’a jamais vraiment existé, si la plateforme enregistre de plus en plus de mutualisation, l’utilisation de la voiture n’a pas diminué pour autant.

« Ces exemples soulignent que le mouvement low tech ne se résume pas à un raisonnement purement technique, mais bien socio-technique, organisationnel et culturel. »


Tour d’horizon des initiatives des différentes parties prenantes du secteur


Etienne DELPRAT, Architecte du collectif YA+K a passé en revue les différents projets initiés et a insisté sur l’existence d’un quatrième pilier au développement durable : le pilier culturel. Pour rejoindre le mouvement des low tech et embarquer l’ensemble des acteurs et citoyens dans ce dernier les représentations, usages et l’organisation de la société doivent être bousculés. Si le low tech est avant tout une posture, une manière de penser la conception, les ateliers ouverts aux habitants ou fab-lab proposés par le collectif, sont un moyen pour la société de se réapproprier les objets, leur réparation, et de gagner en résilience.


Maxime LANQUETUIT, Directeur de l’innovation groupe chez Altarea Cogedim, a partagé son analyse de l’évolution du métier de promoteur. La construction d’un bâtiment et son évolution doivent se penser à l’échelle de son environnement proche, et intégrer les logiques du quartier. Mutualiser les espaces, et certains réseaux encore peu développés, devient essentiel à l’heure où la mobilité et le numérique bousculent nos modes de vie. La valeur des bâtiments est de plus en plus liée aux équipements techniques proposés, qui sont pourtant obsolètes de plus en plus tôt. Le mouvement low tech est à ce titre source d’inspiration.


Jérôme GATIER, Directeur du Plan Bâtiment Durable, a fait un rappel des outils et textes proposés par les pouvoirs publics. La nouvelle règlementation environnementale (RE2020) promeut une réflexion plus globale que la seule consommation énergétique en incluant les problématiques carbone, recyclage, ressources, etc. Le label d’Etat E+C- permet de calculer de manière plus exhaustive l’impact carbone d’un bâtiment, sur tout son cycle de vie et sur tous ses usages. La Feuille de route économie circulaire quant à elle tente de donner une meilleure compréhension d’un sujet encore mal connu, et trop souvent abordé sous le seul angle de la valorisation des déchets.


Repenser le secteur immobilier dans son intégralité


  • Détruire pour reconstruire est une pratique qui doit diminuer étant donné que la construction émet autant d’émissions de gaz à effet de serre que l’ensemble des émissions liées à l’exploitation du bâtiment.
  • Le décloisonnement des métiers et façons de travailler doit s’opérer. Les acteurs (différents métiers), les secteurs (infrastructure, immobilier, construction, finance) et les échelles (ville, quartier, bâtiment) doivent être pensées en cohérence. Il s’agirait par exemple de recréer du service (transport) là où les bâtiments existent plutôt que de construire dans des zones déjà sous tension foncière.
  • L’inertie du secteur immobilier étant très forte et les délais d’action étant très courts du fait de l’urgence climatique (voir les travaux du GIEC), il faut, en parallèle des aspects techniques et règlementaires (améliorer la performance énergétique, etc.), travailler sur les usages pour amplifier le mouvement vers la sobriété.


Retrouvez la vidéo de la conférence et des regards d’experts sur notre chaine YouTube.


Pour aller plus loin :



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