Décryptage : la Loi Pacte, un bond en avant pour l’entreprise responsable ?

la loi PACTE, ou « plan d’action relatif à la croissance et à la transformation des entreprises » (L. n° 2019-486, 22 mai 2019 : JO, 23 mai), a été promulguée le 22 mai 2019. Elle est le résultat d’une démarche menée conjointement par des entreprises, des parlementaires et des collectivités territoriales entre octobre 2017 et avril 2019, et vise notamment à inscrire l’entreprise dans une démarche sociale et environnementale. Concrètement, s’il faudra attendre les décrets à venir pour pouvoir analyser les modalités d’application des différentes mesures de la loi, cette dernière nous offre une vision assez claire de la façon dont beaucoup conçoivent la place de l’entreprise de demain au sein de la société : une entreprise engagée sur le plan environnemental, et dont la gouvernance est en phase avec les enjeux de son temps. La question environnementale est donc sans surprise au cœur de cette loi, bien qu’elle ne se traduise qu’en filigrane à travers les enjeux de gouvernance des entreprises et les enjeux énergétiques. Ainsi, le législateur prend ici à bras le corps un certain nombre de notions qu’il s’agira ici d’expliciter : entreprises à mission, autoconsommation collective, plateformes industrielles, dématérialisation des données énergétiques, autant d’outils censés permettre une amélioration de la performance environnementale des entreprises. Le secteur de l’énergie étant particulièrement concerné dans ce texte, il convient alors d’apprécier la loi PACTE à l’aune des changements techniques et réglementaires profonds qui sont en phase de modifier notre manière de produire et de consommer cette énergie. Ainsi, la loi Pacte sera-t-elle suffisante pour accompagner efficacement les entreprises au sein des changements sociétaux et énergétiques actuels ?

Repenser la gouvernance de l’entreprise à travers un prisme social et environnemental

La loi PACTE vise à inciter les entreprises à s’engager volontairement dans une démarche responsable. Pour cela, elle met en place deux dispositifs permettant de valoriser ces démarches RSE (responsabilité sociale des entreprises), en s’inspirant des recommandations du rapport Notat/Sénard « L’entreprise, objet d’intérêt collectif » rendu en mars 2018.

La possibilité pour une entreprise de se doter d’une « raison d’être »

La loi PACTE complète l’article 1835 du Code civil, en y ajoutant que l’entreprise doit désormais être gérée en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux liés à son activité. Dans cette optique, l’entreprise peut choisir de modifier ses statuts pour y inclure une « raison d’être », c’est-à-dire un ensemble de principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité. Ce concept s’inscrit pleinement dans les problématiques actuelles du marché de l’emploi, qui fait face à une demande de sens accrue des employés dans leur travail, ces derniers se montrant ainsi de plus en plus exigeants vis-à-vis des problématiques RSE. Au-delà des enjeux de rétention de talents, la « raison d’être » s’inscrit dans une stratégie de gestion des risques ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance), dans la mesure où elle augmente l’attractivité de l’entreprise auprès des consommateurs et des investisseurs. Pascal Demurger, directeur général de MAIF (qui fut la première entreprise en France à se doter d’une raison d’être) ne se cache pas de cette dimension stratégique : « Nous ne le faisons pas seulement par conviction, mais aussi pour des raisons stratégiques. Nous sommes convaincus que cela peut renforcer notre attractivité ». Or, si toutes les entreprises peuvent se doter d’une « raison d’être », il est en revanche bien plus complexe de devenir une « entreprise à mission ».

La possibilité pour une entreprise de se déclarer comme « entreprise à mission »

En effet, la « raison d’être » n’est que le premier pas à faire pour devenir une « entreprise à mission ». Ainsi, selon la loi PACTE, qui modifie ainsi l’article 1833 du Code civil, il existe 5 conditions nécessaires pour qu’une société se voie attribuer ce statut :

  • Ses statuts précisent une « raison d’être » ;
  • Ses statuts précisent un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux que la société se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité ;
  • Ses statuts précisent les modalités du suivi de l’exécution de ladite mission ;
  • L’exécution des objectifs sociaux et environnementaux susmentionnés fait l’objet d’une vérification par un organisme tiers indépendant (OTI), selon des modalités et une publicité définies par décret ;
  • La société déclare sa qualité de société à mission au greffier du tribunal de commerce, qui la publie, sous réserve de la conformité de ses statuts, au registre du commerce et des sociétés, dans des conditions précisées par décret.

En bref, l’entreprise désirant acquérir le statut « entreprise à mission » doit, en plus d’établir une « raison d’être », préciser des objectifs, les modalités d’exécution et de suivi de ces objectifs, et faire l’objet d’une vérification officielle. Ce statut est donc bien plus contraignant et encadré que le précédent, mais présente également de plus grands avantages : il permet non seulement de rendre juridiquement opposable la « raison d’être » à l’ensemble des parties prenantes, mais aussi de renforcer considérablement l’impact de la politique RSE de l’entreprise auprès de toutes ses parties prenantes par le caractère contraignant de son engagement (là où la « raison d’être » n’implique aucune obligation d’action). A titre d’exemple, la MAIF estime que la fidélité de ses clients (le taux de départ y est inférieur à 1%) fait économiser 100 millions d’euros par an à l’entreprise, et que cette fidélité est en partie liée aux divers engagements RSE que revendique l’assureur.

Vers une gestion décentralisée de l’énergie ?

La question énergétique est présente en filigrane tout au long du texte : de la notion de plateforme industrielle (définie ci-dessous) jusqu’au coup de pouce donné à l’autoconsommation collective, en passant par la dématérialisation des factures énergétiques, les enjeux liés à la production et à la gestion de l’énergie sont ancrés dans différentes dispositions allant dans le sens d’une transition vers un modèle davantage décentralisé.

Un élargissement des possibles pour l’autoconsommation collective

La loi PACTE assouplit largement les réglementations relatives à l’autoconsommation, en particulier pour l’autoconsommation collective. En effet, elle met en place une période de 5 ans durant laquelle l’impératif de se situer en aval d’un même poste de transformation d’électricité moyenne ou basse tension pour pouvoir bénéficier d’une installation d’autoconsommation collective est remplacé par un critère géographique plus souple (pas encore officiellement défini). De fait, l’impératif de se situer en aval d’un même poste de transformation d’électricité (haute ou basse tension) n’était pas adapté aux importantes opérations d’urbanisme qui se raccordent souvent à plusieurs postes de transformation. De plus, les projets d’aménagement mélangent les différents usages d’habitat, de bureaux, de commerces ou encore de services ou mixent les constructions neuves et les bâtiments anciens. Cette mixité maximise ainsi la consommation de l’électricité autoproduite en démultipliant les plages horaires de consommation susceptibles de correspondre aux périodes d’autoproduction. Enfin, la loi supprime le seuil de 100kW au-delà duquel il était jusque-là possible de bénéficier d’un tarif réduit de TURPE (tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité). Dorénavant, la CRE examinera elle-même quelles installations peuvent bénéficier d’une réduction de cette taxe, et selon quelles caractéristiques.

La dématérialisation des factures énergétiques : un atout pour l’application du décret tertiaire

L’article 194 de la loi PACTE prévoit une généralisation de l’envoi par biais électronique des factures pour les contrats d’électricité et de gaz, tout en assurant une protection pour les utilisateurs les plus éloignés des usages numériques (leur laissant le choix de refuser la dématérialisation). En plus de son intérêt environnemental probable (réduisant la consommation de papier), cette disposition a également un intérêt certain dans le cadre du décret tertiaire (obligeant à partir de 2020 les propriétaires occupant des surfaces à usage tertiaire de plus de 1 000 m² à communiquer leurs consommations énergétiques annuellement via une plateforme en ligne). En effet, la dématérialisation des factures énergétiques pourra permettre une plus grande fluidité dans la transmission des données. La généralisation de la dématérialisation va donc dans le sens des réglementations à venir, en facilitant la communication des données qui devront être transmises par une partie des acteurs de l’immobilier dès 2020.

La notion de « plateforme industrielle » : un premier pas vers les smart grids ?

La loi PACTE intègre dans le Code de l’Environnement la notion de « plateforme industrielle », qu’elle définit comme un « regroupement d’installations classées sur un territoire délimité et homogène conduisant, par la similarité ou la complémentarité des activités de ces installations, à la mutualisation de la gestion de certains des biens et services qui leur sont nécessaire ». Dans le cadre de l’extension de l’autoconsommation collective, cette notion peut être intéressante notamment pour alléger les réglementations et encourager les initiatives : « la création d’un concept de plateforme industrielle permettrait donc des adaptations de la réglementation tout en favorisant des exemples d’écologie industrielle et d’économie circulaire » (Rapp. AN N° 1237, p. 833, 15 sept. 2018). Cette disposition peut constituer le premier pas vers une adaptation du cadre réglementaire à des pratiques novatrices, comme l’utilisation de la blockchain pour les quartiers en autoconsommation (ou « smart grids », dont une première expérience est déjà menée par Bouygues à Lyon depuis 2016). En effet, les smart grids, ou micro-réseaux intelligents, sont des réseaux électriques de taille locale, conçus pour fournir un approvisionnement électrique fiable à un petit nombre de consommateurs, par exemple sur la base de centrales photovoltaïques. Cependant, ces smart grids sont encore peu développés en France, notamment en raison des défis technico-économiques qui demeurent à relever. Néanmoins, l’évolution du cadre réglementaire est une première étape pour préparer le terrain à de nouveaux modes moins centralisés de gestion de l’énergie.

Pour conclure

La loi PACTE s’inscrit dans la logique des mutations actuelles qui caractérisent l’entreprise en France (gouvernance responsable de l’entreprise, importance de la RSE, volonté d’autonomie énergétique) et anticipe ainsi un certain nombre d’évolutions à venir. Notons que, étant donné l’imprédictibilité de certaines mesures, celles-ci s’inscrivent parfois dans des démarches d’expérimentation, ce qui laisse planer l’incertitude quant aux résultats à espérer à long terme. D’une manière générale, il faudra attendre la publication des décrets d’application pour pouvoir faire la part des choses entre les dispositions annoncées et leur efficacité pratique. En effet, certains voient dans cette loi l’occasion d’un greenwashing pour les entreprises, sans réel impact sur leur responsabilité sociale et environnementale. En tout cas, il ne fait aucun doute que ce sujet ne sera pas tranché tant que les modalités d’application de cette loi ne seront pas connues.

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